Le Veilleur de l'Aube

Éditions : DACRES

Auteure: Michelle ACCAOUI HOURANI

Calligraphies: Caroline GOVIN

Traduction : Dalia SÉOUDI

Date de parution: Janvier 2022

ISBN: 9782491939137

Ce recueil bilingue présente des haïkus (en français et en arabe), illustrés et accompagnés d’une calligraphie élogieuse. Le Dr. Jad HATEM a pris le soin de rédiger la postface et la poète Katia-Sofia HAKIM, la quatrième de couverture.

Extraits du livre

Un monde en secondes

À bouleverser les heures

Le vieux temps tient bon

calligraphie1 le temps

La bourrasque enfile

À la Seine son foulard

Flottant dans le froid

calligraphie2 la bourrasque

La nuit se balance

Le croissant apporte aux arbres

Un très grand vertige

calligraphie3 la nuit

Un clochard au sol

Tend sa gamelle où les jours

Faméliques tintent

calligraphie4 le clochard

La mer se suspend

Aux barques qui chaperonnent

Un astre filant

calligraphie5 la mer

Château en ruine

L’écho vieilli se pare de

Toiles d’araignée

calligraphie6le chateau

Flamme dans la nuit

La bougie s’éteint soudain

Le silence expire

calligraphie 7 la bougie

Livres délaissés

Les théories en profitent

Pour bien prendre l’air

calligraphie 8 le livre

Une eau pour nos taches

Fleuve sombre pour laver

Les cultes usés

calligraphie 9 une eau

À propos

Postface par le Dr. Jad HATEM

L’écriture

L’écriture poétique ne débute pas suite à une décision de la volonté, laquelle n’intervient que dans un deuxième moment, portant sur le quand et le comment. C’est à la faveur (si le mot convient) d’un ébranlement, de ce qu’il faut appeler crise, mot qui signifie, dans son sens grec d’origine, le jugement, ce qui sépare l’être du non-être, la conscience de l’acte, la vérité de l’erreur, la rectitude de l’errance. Moment périlleux que celui de la déchirure, mais précieux aussi par cela que l’ouverture permet aux puissances qui s’agitent dans les profondeurs du psychisme de se déclarer afin d’imposer leur voix propre. Mais poésie n’est pas cri. La voix qui surgit, effarée effarante, est prise en charge par la raison qui la discipline, la forme et lui donne langue dans la concrétude d’un sens.

La crise

La crise s’annonce comme un phénomène animal de la nature, un éclair germinatif : «la foudre se prépare » et

     « Un orage grogne

        Une feuille sur la branche

         Frissonne puis tremble »

Il y a loin encore de la voix insensée à celle qui portera sens. Cette dernière seule pourra cicatriser la plaie. Pour le moment, tout l’être est saisi de vacillation. Une issue fatale est envisageable : la chute de la feuille en guise de trépas ou de folie. Trépas si l’être tombe dans l’invivable. Folie s’il est fractionné.

Dans les deux cas, le sujet surplombe un abîme. La terre se disloque et s’ouvre sous ses pas. Perdus sont les repères :

       « La nuit se balance

         Le croissant apporte aux arbres

          Un très grand vertige »

Les fondations sont comme sapées en sorte que tout menace de s’écrouler. L’arbre symbolise l’humain, le croissant la variation dans l’humeur. C’est à cet instant que la lave se déverse, encore informe.

       « Tremblement de terre

         Qui sort de ce cataclysme ?

         Est-ce bien les morts ? »

Certainement les morts, quoique pas seulement. Les morts ? Les sentiments ensevelis par le passé, les expériences dont on a cru les traces estompées. Mais aussi les vivants : désirs inassouvis, espérances. Ce qui bée a deux orifices : l’un pour les traumatismes et l’autre pour les soifs et les pressentiments.

La lumière

 De la lave à la lumière, la progression est continue. Pour ce faire, il suffit de porter le désir à la conscience de soi. Ce que notre poétesse exprime au moyen de l’image d’une mise à nu, laquelle implique la perspicacité et une sorte de recul qui permettent au sujet de mesurer la chose qui adhérait à lui et par là de la connaître.

         « Il éclôt de chaque

           Songe que l’on dévêtit

           Un veilleur de l’aube »

Le songe est examiné sous toutes ses coutures et pesé. Certes, il a gardé de la lave dont il procède sa puissance, mais objectivée par l’observation.

Voici que la force de la passion s’est muée en force de la vérité. La poésie comme connaissance divinatoire de l’intime peut se mettre en route :

       « Allons maintenant

          Sur la dune d’horizon

          Tracer tous nos rêves »

Le lointain s’est fait proche afin que les rêves puissent être écrits. Et c’est un jaillissement qui fait pâlir les étoiles :

     « Beau feu d’artifice

        Quelques étoiles jalouses

        Se retirent loin »

C’est vérité contre vérité. Vérité de l’homme capable d’art contre vérité de la nature (dont les feux, n’étant pas d’artifice, se répandent infiniment dans l’espace et s’épuisent sans se retourner sur soi pour s’intuitionner dans un miroir verbal et se vérifier).

Le destin du poète

Le poème en train de se faire s’alimente aux songes. Sa lumière est leur que la raison parfait. Serait-ce un diamant qui laisse derrière lui le déchet de latransmutation alchimique du désir en songe, puis en poème medium des émotions diverses créant le site de leur synthèse ?

         « Matinale pluie

            L’aube des cendres nettoie

            Les rêves brûlés »

Déchets sont les cendres des rêves brûlés. Au lieu de faire appel au vent qui, se levant, fait clamer par Valéry qu’il faut tenter de vivre, Michelle Hourani invite l’eau du ciel à effacer la trace de l’incendie afin que la vie déploie les fastes du jour. Mais sont-ce les siens ? N’offre-t-elle pas le diamant poétique aux autres plutôt qu’à soi qui a dû le tailler dans sa chair vive ? Il y eut une heure bénie, certes, mais dont le fruit est dédié. La feuille qui frissonnait s’est détachée de l’arbre, s’est envolée et égarée. Demeure le poème désuni de sa source, offert à tous :

         « L’oiseau est tombé

            Seule reste sur la branche

            Sa belle complainte »